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exposition 2002 : visions divagatoires de quelques femmes de la bible


conférence : art, transcendance et érotisme

prononcée par Hubert Le Menestrel lors du vernissage de son exposition au château de Beaupré, le Vendredi 5 Juillet 2002

Mesdemoiselles, Mesdames, Messieurs,

Dans le cadre de nos causeries philosophico-surréalistes, nous allons aborder ce soir un sujet qui m'est cher : 'Art, transcendance, et érotisme'.

le bit de l'informaticien

Alors j'ai découpé mon propos en deux grandes parties, numérotées de zéro à un.

En effet, j'ai été informaticien, et l'informaticien représente toute l'information, le monde entier pourrait-on dire, sous forme de bits (B - I - T - S) ; d'un très grand nombre de bits, bien entendu. Un bit peut être soit à l'état neutre, au repos si vous voulez, et le courant ne passe pas, il vaut zéro ; ou bien le bit est actif, le courant passe ; il représente alors le chiffre un.

Comme moyen mnémotechnique, vous pouvez penser à la métaphore de la barrière du passage à niveau : lorsque la barrière est basse, le courant des automobiles ne passe pas ; ensuite, le mécanisme se met en branle. La barrière doucement se lève (geste), ses zébrures rouges et blanches viennent découper l'immensité du ciel d'azur… et bientôt y dessinent un majuscule chiffre un. Alors, la queue de véhicules s'ébroue, et pénètre sur les rails (il s'agit seulement d'un petit moyen mnémotechnique).

partie nulle

Donc, la première partie de mon discours, numérotée zéro, n'a pas de titre, ni de contenu d'ailleurs ; zéro, c'est le néant, le silence le plus total.

(long silence)

Bien ! nous allons passer maintenant à la seconde partie, numérotée 1, celle du bit levé si vous voulez. D'ailleurs vous allez voir que le courant va passer entre nous. Cette partie est évidemment plus consistante que la première, qui était, il faut bien le dire, d'une nullité parfaite.

la fange humaine

Alors l'informaticien ne représente que le monde de l'homme, et malheureusement l'homme est mauvais. L'homme n'agit que pour libérer ses instincts animaux (voyez mes vieillards, ici), ou pour assurer son confort matériel ou mental. Pour cela, certains visent le retour dans le cocon paradisiaque de l'utérus maternel : voyez mon "paradis", là. Le corps de l'homme se dégrade dans des formes adipeuses et boudinisantes… Eh bien, Mesdames et Messieurs, il faut s'élever au-dessus de cette fange humaine putrescible ! Il faut regarder au-dessus de l'homme, et trouver la transcendance… si elle existe.

le beau culte vaudou

Mais pouvons-nous atteindre la transcendance avec nos pauvres moyens humains ? Eh bien oui, c'est possible, dans le cadre du culte vaudou. Vous savez que les Vaudous ont de très beaux cultes ; et personnellement, j'adore les vaudous. Pas les veaux d'or ! Les Egyptiens adorent les veaux d'or, mais moi j'adore les vau-dous. Mais, il faut bien le dire, le vaudou, c'est dur. Remarquez, il vaut mieux le vaudou dur, que l'inverse… Par exemple, si vous allez à la boucherie, et vous demandez du veau. On vous le vend à prix d'or. Et arrivé dans votre assiette… il est dur ! Alors le veau d'or dur, c'est dur ! On peut être obligé de le mettre à la poubelle ; oui, au vide-ordures : le veau d'or dur au vide-ordures, il y a une certaine logique, n'est-ce pas ?

Mais cessons ces calembours de bas étage. Il faut que je vous décrive un peu l'ambiance de cette cérémonie d'initiation vaudou qui permet d'atteindre la transcendance. Très beau culte. D'un côté, les impétrants attendent en rang. L'air sent l'encens. Le tam-tam tonne. Et le sorcier s'assied. Très beau culte.

Soudain, l'homme entre en dansant. Et tant il danse dans l'encens, qu'il entre en transes. Et tant il danse en transes qu'il entre en transcendance. Très beau culte.

Notez, pour être tout à fait exact, que les vaudous ne brûlent pas de l'encens pour leurs cérémonies, mais une sorte de bulbe odoriférant (un très beau bulbe, d'ailleurs), qui s'appelle la akoula bawalawé. Et au lieu de dire "tant il danse dans l'encens", j'aurai du dire : "tant il danse dans l'akoula bawalawé". Mais bien entendu, l'effet phonétique n'aurait pas été aussi intéressant.

transcendance de thérèse d'avila

Bien sûr, tout le monde n'est pas vaudou : certains sont catholiques. Et vous, Mesdames, vous pouvez atteindre la transcendance comme Sainte Thérèse d'Avila. Vous n'avez qu'à lire le texte de la sainte que j'ai reproduit, là, et tenter l'expérience. Alors si vous avez besoin de quelqu'un pour figurer l'ange, je suis à votre disposition : vous n'avez qu'à laisser votre téléphone sur le livre d'or à l'entrée. Notez que l'ange avait, suivant le texte, une petite flamme à l'extrémité de son dard ; pour cela, on en restera peut-être au niveau du symbole.

Alors, pour décrire cette transcendance, l'informaticien est impuissant (malgré ses milliards de bits). Le physicien est impuissant aussi ; et même, ce qui est plus grave, le philosophe est impuissant - il n'a pas les mots. En bref, le monde entier est impuissant (pour représenter la transcendance). Le monde entier, sauf... l'artiste. Oui, Mesdames et Messieurs, l'artiste peut et doit représenter la transcendance, même et surtout si elle n'existe pas (l'artiste n'a pas de problème pour représenter des choses qui n'existent pas).

le cosmos et les trous noirs

Mais à ceux qui nient l'existence d'une transcendance, j'oppose quand même le cosmos :

le cosmos n'est pas du niveau de l'homme. Les galaxies, les espaces intersidéraux, les infinitudes que l'on découvre infiniment petites par rapport à d'autres infinitudes : est-ce du niveau de l'homme ?

Et les fameux trous noirs ? Vous savez que les trous noirs sont le résultat d'énormes étoiles mourantes, qui s'effondrent sur elles-mêmes sous l'effet des forces cosmiques gravitationnelles. Alors pour ce qui me concerne, en fait, le trou noir que j'ai représenté là derrière l'œuf, je l'ai fait blanc. C'est un trou noir blanc ; bon ! Vous allez me dire : "évidemment votre trou noir blanc, là, c'est un peu troublant". Et je vous répondrai que nous, les ménestrels, nous sommes des troubadours, ou des trouvères si vous voulez. Et c'est vrai qu'en tant que trouvère, j'ai trouvé troublant ce trou noir blanc ouvert…

(Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je me demande si le niveau ne baisse pas un peu, là. Mais ne vous inquiétez pas : j'ai ce qu'il faut pour recharger les batteries (il sort un paquet de lessive "Génie"). Vous voyez, c'est du "Génie" (il s'en asperge). Vous voyez, c'est très commode d'avoir sa petite réserve.)

Enfin, pour revenir à ces trous noirs, Mesdames et Messieurs, c'est pathétique : que va-t-il se passer si une planète normale vient à pénétrer dans un trou noir ? Savez-vous ce qu'il va se passer ??? (ton très léger) Ma foi, je me le demande…

Mais cette question de pénétration dans les trous noirs m'amène directement au sujet suivant, qui est l'érotisme (c'est vrai que je n'en ai pas du tout parlé jusqu'à maintenant, et il faut bien y venir).

sublimez votre libido

Alors, les plus moralisateurs parmi vous penseront que l'érotisme, dans l'art, conduit tout droit à la pornographie, la pornographie à la déliquescence, à la putréfaction, et finalement à la sublimation dans des effluves nauséabondes. Mesdemoiselles Mesdames Messieurs, je dirai que cette opinion est très exagérée. Ces personnes ont une moralité légèrement dépassée. Il faudrait qu'elles lisent au minimum quelques oeuvres de Pappy Sigmund Freud, qui nous a montré, sans qu'on puisse maintenant le contester, l'importance du sexe dans nos comportements. L'énergie de notre libido n'a que deux voies possibles : l'assouvissement par l'activité sexuelle normale, ou bien le refoulement, qui forme des gens psychiquement déséquilibrés… des tarés, quoi ! Il y a quand même une troisième voie, c'est ce que Freud appelle la sublimation dans des activités, et notamment des activités artistiques. C'est la raison pour laquelle parmi les très grands artistes, plusieurs étaient inhibés sur le plan sexuel : Léonard de Vinci, bien sûr, Salvador Dali... Curieusement, pas Le Menestrel… ni Van Gogh d'ailleurs.

freud, courbet et lacan

Bien entendu, Pappy Freud est lui aussi maintenant largement dépassé. Nous avons eu le grand Jacques Lacan, heureux possesseur jusqu'à sa mort du chef d'œuvre de l'art érotique, l'origine du monde de Gustave Courbet. Lacan, n'étant je crois pas bête, l'avait évidemment caché derrière un autre tableau, alors qu'il est maintenant donné en pâture au public du musée d'Orsay, dans le mépris total des intentions initiales de l'artiste. Gustave, on est avec toi !

Mais pour Pappy Freud et sa clique, Jacques Lacan c'est la claque. Freud lui-même était mort ; mais quand la claque Lacan a claqué, Pappy Freud n'a pas pipé, mais sa clique a paniqué. Clic et clac et nique et tac, Mistigri t'a pris ta carte ! Voilà résumée un tout petit peu l'histoire de la psychanalyse, si vous voulez.

les deux mamelles de l'art

Mesdemoiselles Mesdames et Messieurs, je termine. A la question existentielle essentielle posée par Lacan, je répondrai : "Là - quand ? Ici, et tout de suite." Car, Mesdames et Messieurs, le passé n'existe que dans nos souvenirs, et il n'y a pas de lendemains enchanteurs. Il n'y a que ici et maintenant. Et ce qu'il faut faire, ici et maintenant, c'est se réjouir et boire de cet excellent vin du Château de Beaupré, en en remerciant nos hôtes, qui nous ont accueillis dans ce cadre superbe.

Mais que ce vin ne vous empêche pas de retenir ma conclusion, que j'exprimerai dans une formule raccourcie et paroxystique :

Transcendance et érotisme sont les deux mamelles auxquelles l'art doit venir téter.


Mesdemoiselles, Mesdames et Messieurs, je vous remercie.