La "synthèse", un genre artistique nouveau
Zarathoustra au pays des Moghols est une œuvre conçue comme une vidéo musicale, ou encore comme une symphonie illustrée, mettant en scène et en musique une promenade dans un monde de synthèse.
Tant la partie son que la partie image sont réalisées numériquement : la partie son n'utilise que des instruments synthétisés, des bruits remixés, des synthétiseurs virtuels, un séquenceur, en bref des logiciels de Musique Assistée par Ordinateur. La partie image est entièrement réalisée en "3D" (en objets modélisés en trois dimensions) avec des logiciels appropriés.
L'œuvre tient à la fois :
- d'un mini-opéra, puisque comme l'opéra, elle réunit musique et spectacle visuel. Mais il n'y a pas de narration. Par contre, il y a des textes, et l'œuvre peut avoir ainsi un "sens", délivrer un certain message, d'ordre plus ou moins philosophique dans le cas présent,
- de la symphonie, d'une œuvre musicale construite en plusieurs mouvements, avec progression et variété des mouvements, tout en maintenant une cohérence sous la forme d'un thème musical général,
- du jeu vidéo, en tant que promenade dans un monde virtuel. Toutefois, dans le projet initial, il s'agit d'un spectacle et non d'une œuvre interactive. Cette option a été choisie pour que le projet reste d'une complexité raisonnable, mais on peut imaginer des versions ultérieures de l'œuvre qui seraient interactives. Dans tous les cas, on reste sans "jeu", sans objectif (ni trésor à trouver ni ennemi à abattre), sinon celui de passer un moment agréable, comme à un concert.
Il est clair que ce genre s'écarte du genre vidéo tel qu'il est le plus souvent pratiqué (même si certains vidéastes agrémentent leur image d'une bande son, en général assez pauvre, et en tous cas traitée comme annexe) ; même du point de vue visuel, l'œuvre ne réside pas dans l'"histoire" racontée par le déroulement de l'image, mais bien dans le lieu et ses décors, le mouvement de la caméra n'étant destiné qu'à montrer ces éléments.
Le genre pourrait s'apparenter aux films d'animation, mais là encore l'importance donnée à la musique, et au contraire l'absence totale de narration, en fait quelque chose de très différent. Historiquement, on peut citer un travail qui s'approche du concept : celui de Walt Disney dans Fantasia. Cette œuvre, toutefois, ne reprenait que des morceaux de musique célèbres, et consistait à coller un dessin animé synchronisé avec la musique. Il s'agissait plus d'une recherche que d'une œuvre aboutie.
L'œuvre est novatrice tant par son genre, tel qu'on vient de le voir, que par l'actualité la plus récente des outils logiciels utilisés, et leurs possibilités de plus en plus fantastiques.
Un éventail de composantes artistiques
Le monde virtuel, fond visuel de l'œuvre, comprend un palais, des jardins, des panoramas, faisant ainsi appel à l'art de l'architecte. La structure des lieux à visiter est diverse, et la réalisation en images de synthèse permet toute liberté (palais sans limites, ou changeants, survols de contrées diverses…)
Le visuel est agrémenté d'images fixes, présentées dans certaines salles visitées, dans des cadres ou des fenêtres. Les murs des salles peuvent être décorés de façon très diverses. Il s'agit ici d'un procédé apparenté aux collages, qui donne à l'œuvre sa composante "peinture" (l'imagerie restant bien entendu numérique).
Des textes sont introduits dans la bande son, lus ou chantés. Ils se présentent principalement sous une forme aphoristique ou poétique, adaptée au thème choisi, fondé sur l'œuvre de Nietzsche, soit dans ses aspects esthétiques (sur la notion de gai savoir, sur l'art dionysiaque), soit dans ses aspects métaphysiques (philosophie du devenir, amour du destin). L'aspect intellectuel n'est pas essentiel dans l'œuvre. C'est la poésie musicale et visuelle qui prime.
Le monde visité est habité d'êtres divers, hommes ou animaux. Ils sont soit présents sous forme de collages comme il a été dit, soit numérisés en 3D, mais dans ce cas sous une forme humanoïde simplifiée, dans un esprit d'économie de temps et de budget. C'est le cas notamment d'une danseuse "ectoplasmique" qui anime l'une des scènes. On a ici un volet "sculpture" et un volet "danse" qui complètent la pluridisciplinarité de l'œuvre.
En résumé, l'œuvre en projet s'approche plus que tout essai antérieur du concept d'œuvre d'art totale, rêve de bien des artistes. Elle réunit musique, poésie et spectacle, dans un monde virtuel bâti avec architecture et décoration d'images. Un thème général, celui de Zarathoustra, apporte une note intellectuelle, restant toutefois annexe.
Comme l'œuvre tente une "synthèse" de plusieurs arts, et qu'elle fait appel aux images "de synthèse", il semble approprié d'appeler ce genre "synthèse".
Support théorique
Ce genre de "synthèse" s'inscrit parfaitement dans un cadre esthétique postmoderne. La modernité qui a dominé tout l'art du vingtième siècle s'est essoufflée dans l'exigence de la nouveauté à tout prix. Après le tableau blanc, après l'objet ready-made, plus rien ne pouvait être entrepris de nouveau. L'exigence de nouveauté, devenue académisme, est tombée. L'art est entré dans l'époque postmoderne. La postmodernité peut s'exprimer non pas dans un retour au passé, mais dans la possibilité de réutiliser des styles ou des idées artistiques du passé. Elle s'exprime aussi dans l'éclectisme, la juxtaposition ou la synthèse de tout ce que l'artiste souhaite, dans l'optique, encore, de rejeter les styles et académismes standardisés qui ont prévalu jusqu'à maintenant. Le genre de l'œuvre en projet est par essence éclectique et postmoderne.
Elle peut être postmoderne en outre, par la juxtaposition de styles divers : le passé est présent dans certains décors, par citations, ou dans les thèmes et genres musicaux, mais la modernité apparaît aussi, sous plusieurs formes :
- les lieux et objets montrés peuvent être irréels, surréalistes, expressionnistes,…
- l'image sera par moments totalement abstraite : brouillards colorés, végétation tellement luxuriante qu'elle en devient confuse et indistincte…
- le son pourrait être tantôt musical, tantôt abstrait, limité à des bruitages plus ou moins cacophoniques, ou à des textes dépourvus de sens apparent, et ainsi de suite.
En résumé, la "synthèse" apparaît comme un genre postmoderne par excellence. Mais elle peut apparaître aussi comme un genre nouveau, ce qui lui donne un intérêt supplémentaire du point de vue de la philosophie de l'art et l'esthétique.
Présentation au public
Dans la mesure où l'œuvre sera totalement numérique, elle sera logiquement distribuée sous forme de Dvd. Ceci n'exclue pas sa présentation en salle de spectacle, bien entendu.
En salle, il serait intéressant de présenter l'œuvre sur un écran, mais en présence d'artistes et de techniciens sur scène, pouvant manipuler en temps réel le son (comme peut le faire un Disk Jokey sur les sources Ableton Live), pouvant réciter certains textes en direct au micro, et même manipuler le déroulement des vidéos. Cette option pourrait faciliter l'équilibre de perception et d'attention entre son et image (l'image ayant tendance à abstraire le spectateur de la musique), cet équilibre restant délicat à atteindre.
Interactivité
L'interactivité semble complexe à mettre en œuvre, mais rendrait le genre encore plus intéressant. Elle s'inscrit dans l'air du temps, et le caractère numérique de l'ensemble de l'œuvre devrait la rendre techniquement possible. Considérée comme une promenade, elle donnerait au spectateur une grande liberté, lui permettant de visiter les lieux à son rythme ou selon son humeur ; d'autant plus que certains inserts d'images ou de textes peuvent intéresser certaines personnes, et moins d'autres.
La "synthèse", sous sa forme interactive, se présenterait alors sur un support genre Dvd, et ne pourrait être regardée que sur un ordinateur muni d'une interface appropriée (joystick ou autre). L'interactivité limite aussi fortement la possibilité que plusieurs personnes regardent l'œuvre ensemble, ce qui est dommage.
On peut imaginer une solution mixte de ce problème : l'œuvre serait normalement interactive, mais une version passive en serait extraite, avec un rythme et un itinéraire de promenade fixé par l'auteur, et cette version pourrait être diffusée en salle.
Dans la version interactive, la synchronisation son - image, c'est-à-dire la liaison son - lieu, poserait bien entendu problème. L'une des solutions consisterait à attacher des morceaux de musique à certains lieux ; le volume augmenterait en s'approchant du centre du lieu, et baisserait en s'en éloignant. Entre les sites seraient aménagés des "lieux blancs" où la musique serait réduite à sa plus simple expression (une ligne mélodique simple et répétitive). Ce processus est déjà utilisé dans certains jeux vidéo.
L'idée d'interactivité a été laissée de côté dans le projet actuel, pour rester réaliste.