151208 Dans L'intemporel, Malraux dit que le beau ne peut commencer que là où s'arrête le désir, ou un truc de ce genre. Donc, aucune beauté liée aux pulsions dionysiaques. Ça met l'apollinien à un niveau supérieur : c'est la soi-disant suprématie de l'esprit sur la chair, et ainsi de suite. Finalement, on ne qualifie de beau que ce qui est apollinien. Si on ramène l'art à ce beau, on se trompe alors complètement, car l'art est bien d'essence dionysiaque avant tout. Il ne s'agit ni d'exclure le dionysiaque, ni de le tolérer comme un petit diable pénible qui montre son nez, mais qu'on a du mal à contenir. Il s'agit de laisser s'exprimer Dionysos, et de le tempérer avec un peu d'apollinien (et éventuellement d'intellectuel).
240309 Au musée de Montpellier, très beau nu de Pradier, qui représente soi-disant la femme de Candaule à sa toilette (l'illustration ci-contre n'est pas le nu de Montpellier, mais une autre sculpture de Pradier). Cette femme de Candaule est très charmante, mais elle est en pierre, tu ne peux pas la baiser.
D'un autre côté, si elle était en chair et en os, elle ne t'aurait pas attendu là des années à se coiffer, alors qu'il n'y a pas de glace.
150701 Vincent Van Gogh : "Faire de la peinture et baiser beaucoup n'est pas compatible, le cerveau s'en affaiblit. Voilà qui est bien emmerdant."
Salvador Dali (secret numéro 9 de 50 secrets magiques) : il faut rester chaste pendant la période de gestation de l'œuvre, avant de commencer, puis faire normalement l'amour (une fois par jour au moins) pendant son exécution.
060711 Pablo Picasso : "Si l'art est chaste, ce n'est pas de l'art."
070901 Friedrich Nietzsche : "C'est une seule et même force que l'on dépense dans la création artistique et dans l'acte sexuel". Dans ce fragment posthume, Nietzsche dit comme Van Gogh : l'artiste doit être chaste pour assurer sa maîtrise au cours de son travail ; il ne faut pas qu'il dépense son énergie à tort et à travers.
050212 Sigmund Freud : pour Freud (en matière de sexe, à tout seigneur tout honneur) la création artistique est une sublimation de la libido de l'artiste. La libido étant principalement liée au sexe (mais Freud distingue quand même entre sexuel et génital).
L'énergie sexuelle, au sens génital, purement physiologique, celle de la machine à fabriquer les spermatos (pour les hommes), n'est pas exactement la même que l'énergie de la création artistique (O Mânes de Friedrich, accordez-nous votre pardon !). Elle comporte une dimension psychique (O Mânes de Sigmund, grâce vous soit rendue !).
080211 Mais on peut penser que ce n'est pas l'énergie sexuelle (la libido) qui gouverne le reste, comme toute la théorie freudienne le suppose, ou comme Dali le laisse entendre dans ses conseils. Il ne s'agit pas d'un trop plein d'énergie qui va déborder et forcer l'artiste à produire. Ce qui meut l'artiste, ce serait plutôt une "énergie créatrice", de nature plus générale, qui, lorsqu'elle s'extériorise, affaiblit les autres fonctions, y compris les fonctions sexuelles. Il ne s'agit donc pas de conseiller d'arrêter de baiser pendant les phases de création artistique : pendant ces phases, l'artiste arrête naturellement de baiser.
080511 Comment peut-on appeler cette énergie créatrice ? Énergie vitale ? Trop général : l'énergie vitale est celle qui meut nos muscles (et notre cœur en particulier, ce qui en fait une énergie plutôt utile) ; c'est celle dont le sculpteur a besoin pour activer son marteau, mais qui ne lui dit pas où il faut qu'il tape. Énergie sexuelle ? Trop particulière comme on l'a vu. Libido ? Fait encore trop référence au sexe. Énergie créatrice ? Peut-être, mais ça ne dit pas d'où elle vient : elle peut n'exister que comme conséquence, pas comme cause. Il faut trouver un mot qui exprime l'expulsion d'un trop plein de cette énergie. Ni vitale, ni sexuelle, ni créatrice, on pourrait appeler l'énergie dionysiaque énergie pulsionnelle.
091009 Le cas de Louise Bourgeois n'est pas facile à analyser. Devant les "phallus-philippines" (les philipe-pines), deux sexes masculins accolés dos à dos, avec des fentes évocatrices à la jointure, pendus en l'air pour qu'on puisse bien voir la jointure par dessous, elle se défend que cela représente des sexes (voir numéro spécial de Connaissance des Arts). C'est incroyable.
Première explication possible, elle voit bien des sexes, mais elle veut dire qu'elle n'a pas eu cette intention lors de la création. Explication possible, qui tendrait à dire qu'elle doit avoir une bonne obsession sexuelle : elle sculpte des sexes sans s'en rendre compte. Mais ce n'est pas ce qu'elle dit. Selon le catalogue, elle se défend que cela représente des sexes. Elle dit peut-être que l'œuvre est symbolique, mais que cela ne représente pas des sexes. C'est un cran au-dessus de Magritte : ceci n'est pas une pipe, d'accord, mais ce n'est pas non plus la représentation d'une pipe, c'est une métaphore de je ne sais quoi, un symbole de je ne sais quelle valeur morale ou immorale. Elle apparaîtrait dans ce cas comme tellement intellectuelle que c'est difficile à croire. Mais alors quelle est l'explication ?
061009 La connerie de certains fonctionnaires professionnels de l'art peut atteindre des sommets. Une dame parle à la radio d'une expo Renoir, elle déblatère sur le fait qu'il peignait des femmes, et elle ne parle absolument pas de sexe ! Elle ne comprend pas du tout Renoir (et tous les artistes qui peignent des nus) ! Le jour suivant, dans le journal, on lit cette citation de Renoir : "Je ne pourrais me passer de modèle. Même si je le regarde à peine, il m'est indispensable pour me beurrer les yeux. J'adore peindre une gorge, les plis du ventre, je me pelote ainsi." Il dirait en langage d'aujourd'hui : "c'est ma façon à moi de me masturber". Et pour l'expression "me beurrer les yeux", il voulait probablement dire "me rincer l'œil".
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