200810 Avec son énergie débordante, Dionysos crée du désordre, de la jungle. Mais pas tout-à-fait du chaos : plutôt un ordre naturel. La nature peut être désordonnée, mais elle peut aussi être très ordonnée : cristaux, flocons de neige... L'ordre dionysiaque n'est pas imposé, c'est un ordre qui se fait tout seul, naturellement, au fur et à mesure que la plante pousse par exemple. Un ordre organique.
L'opposition Apollon - Dionysos, ce n'est pas : ordre - désordre. C'est plutôt : ordre imposé - ordre naturel.
131211
"- Ce que je souhaite, Tonton, c'est de vivre en conformité avec la nature. Alors dis-nous, Dionysos est-il un dieu naturel ?
- Dis-moi, Pulavinas, lorsqu'on dit d'une personne qu'elle est "naturelle", que veut-on dire d'elle ?
- Je pense que c'est une personne qui se montre sans détour, sans fard, avec simplicité. Elle parle clairement, disant les choses comme elles sont ; elle appelle "chat" le chat !
- Maintenant, Pulavinas, dis-moi si Dionysos, qui est toujours déguisé en bête sauvage ou en charmant éphèbe, dis-moi s'il se montre sans détour ?
- Non, par Zeus, Tonton ! Dionysos est le plus déguisé et le plus complexe de tous les dieux !
- Alors nous en concluons que Dionysos n'est pas naturel, n'est-ce pas ?
- Oui, Tonton, Dionysos n'est pas naturel.
- Et pourtant, Dionysos est bien le dieu le plus proche de la nature. Ce qui t'a troublé, Pulavinas, c'est ce mot "naturel", qui est bien ambigu. Mais Dionysos est bien "conforme à la nature". N'oublie pas, Pulavinas, que la nature est compliquée, d'une complexité inouïe, et qu'elle est atrocement cruelle, lorsque Zeus déclenche sa foudre, ou lorsque Hadès fait trembler la terre et s'écrouler les maisons, ou lorsque les animaux se battent jusqu'à la mort.
Et Dionysos est tout aussi compliqué et cruel.
- Protège-moi, Tonton, j'ai peur !"
(NB : des parallèles convergents, le mec qui a écrit ça ne devait pas être bien fort en maths.)
230109 On voit très clairement, dans le livre de Jean-Patrick Costa "Les chamans hier et aujourd'hui" (très bon livre), les points communs entre dionysisme et chamanisme :
- l'ivresse dionysiaque et "l'état altéré de conscience" du chaman
- la lucidité attachée à cet état
- les moyens artificiels : alcool, plantes hallucinogènes et drogues diverses
- les moyens auditifs, les battements de tambour
- l'appartenance à la nature, en tant que parcelle
- la notion d'énergie vitale, comme notion fondamentale
- l'idée de procréation ou plutôt de conservation de l'espèce
- la gaieté dionysiaque d'un côté, et une certaine "béatitude" chamanique
- la plus grande proximité de l'homme et de l'animal
- désindividuation , ou dissolution de l'ego, l'union de l'homme avec le grand tout du monde
- l'union des extrêmes (chamane) et la rencontre des contraires (dionysiaque)
- la dimension créatrice
- ni le dionysisme, ni le chamanisme ne sont une religion, pas de transcendance, mais au contraire union du sacré et du profane.
Par contre, la composante médicale du chamanisme, qui est capitale, ne se retrouve pas dans le dionysisme (sauf peut-être la tentative de guérison des "possédés" dans les premiers temps de Dionysos, et plus généralement les vertus cathartiques de la transe). Également, dans le dionysisme, il n'y a pas cette composante capitale du chamanisme, la communication avec des esprits ou avec un au-delà.
130710 La première façon de regarder le sexe (si on peut dire) est disons anthropologique : elle concerne l'opposition de deux sortes d'humains ou d'animaux, les mâles et les femelles. En général ça se passe mal, entre rivaux : il y a concurrence entre les individus du même sexe, et conflits divers entre les gens de sexes opposés. C'est une vision individualiste du sexe.
Le deuxième sexe, celui dont il s'agit dans les fêtes dionysiaques, est collectif, relatif à l'ivresse sexuelle : dans ces fêtes, les satyres courent après les ménades … qui fuient, comme les poules fuient le coq, le but étant d'atteindre une excitation paroxystique. C'est un sexe-défoulement (libération de l'énergie pulsionnelle) ou métaphysique (libération des contraintes de tous ordres).
Le troisième sexe est le sexe procréateur ; pas de relation directe avec les deux premiers. Au contraire, Michel Maffesoli (L'ombre de Dionysos), considère que ce sexe procréateur est une disposition "utilitariste" du monde "productiviste", comme il l'appelle. C'est discutable : on peut penser que le sexe procréateur fait partie du cycle de vie inhérent au dionysisme .
171109 En effet, l'acte d'amour est à la base un acte animal. Qui, effectivement, procrée. Cette dimension dionysiaque, animale, naturelle - plongée dans la nature, inclut l'aspect procréatif : la perpétuation de l'espèce.
130811 Dionysos étant le dieu de l'irrationnel, parler de lui de façon rationnelle est obligatoirement faux ou en tous cas déplacé. A ce sujet, on doit citer le proverbe bien connu :
Rousse qui moule n'amasse pas Pierre.
Remarquez qu'ici nous ne sommes pas tout-à-fait dans l'irrationnel, car les rousses qui moulent, il y en a qui amassent… Mais on peut aussi dire :
Tant va le cachalot, qu'à la cruche il s'affine…
déjà un peu plus difficile, et enfin :
Le poêle à bois, la carapace vanne,
qui ne veut effectivement plus rien dire du tout. Et lorsque l'ivresse dionysiaque subjugue la patate, cochez la case "Pouic". Tarzan la banane dans les mines de gruyère :
" - Oh oh yaho yaho !".
Miaou, le voile embrume le cube. Meuh. Coin coin coin. allons enfants de la Pah pah pah. Ave César… Vé-a raséC
Tagada tsouin tsouin, la digue la digue.
Ava gun ou bi cor sup pa lon ju.
Plij sb pojs hjlkjd ifififi ^z^psoij g hh cxlkj 9_
9Yenjlkjt >£%ùù /µµ>>>
230911 Il y a contradiction entre l'irrationalité (la "folie") de Dionysos, et l'existence d'une philosophie (d'une "sagesse") dionysiaque, celle de l'amour du destin, la philosophie du devenir. L'expression philosophie dionysiaque comporte ainsi une contradiction interne. Oui, mais Dionysos est bien aussi le dieu de la juxtaposition, ou même de la superposition des contraires ! L'expression philosophie dionysiaque est donc elle-même dionysiaque… la boucle est bouclée !
151111 Cénesthésie : définition. Sentiment de bien-être ou de mal-être dont les causes sont floues et profondes, en soi-même. Il y a des jours avec et des jours sans. Phénomène cyclique, dionysiaque. On n'est pas encore dans la maniaco-dépression, mais on s'approche…
260610 Maniaco-dépression (selon les médicaux, il faut dire "troubles bipolaires" ; tu penses, c'est trop dur d'appeler "chat" le chat. On a envie de leur mettre un coup de pied à leur bipôle, à eux). La maniaco-dépression, donc, est une maladie typiquement dionysiaque. Il y a d'abord son caractère cyclique : l'alternance manie - dépression est une version psychique de la saisonnalité : manie = printemps, dépression = automne. C'est un cycle éternellement recommencé, naissance, vie, mort, renaissance : un principe de base du dionysisme.
Ensuite, nous avons l'exaltation, l'ivresse dionysiaque, correspondant à la phase maniaque. C'est une phase hyper-créative : exaltation, tension créatrice, sentiment démiurge , fierté d'ajouter au monde. Ceci est particulièrement sensible pour les artistes, bien entendu. Et pour eux, la fin de la création les met en état de déprime : l'artiste perd à l'extérieur une partie de lui-même. S'il expose, ses "enfants" lui échappent, ils ne lui appartiennent plus, ils quittent le foyer. C'est la généralisation de la déprime post-partum bien connue (le parallèle entre création artistique et maternité est aussi celui de Nietzsche : "Artiste, prends soin de ton enfant comme la parturiente ." Comme preuve de l'effet de la maniaco-dépression chez les artistes, nous avons eu l'extraordinaire exposition Mélancolie, de Jean Clair, qui a parfaitement montré les très nombreux artistes, parmi les plus grands, qui étaient maniaco-dépressifs.
Mais, dans une philosophie dionysiaque, on peut considérer que la maniaco-dépression est un état psychique tout à fait normal. Lorsqu'on est dionysiaque, on accepte son destin, non pas on l'accepte, mais on l'aime, amor fati , et on n'est plus malade. On aime la phase maniaque, parce qu'elle permet de créer, dans une ambiance dynamique, euphorique même, mais on aime aussi la phase dépressive, qui n'est qu'un repos, et on descend tranquillement au fond du trou, sachant parfaitement que dans ce phénomène fondamentalement cyclique, on ne pourra que remonter. On aime cet état ; surtout il ne faut pas en sortir, il ne faut pas "guérir", sinon on ne peut plus créer ! Seulement s'en rendre compte et aimer son destin…
Deux magnifiques citations pour remonter le moral des maniaco-dépressifs : l'une d'Aristote, c'était la question posée dans la première salle de l'expo Mélancolie précitée : "Pourquoi tous ceux qui furent exceptionnels en philosophie, en politique, en poésie ou dans les arts, étaient-ils de toute évidence mélancoliques ?"
Deuxième citation, celle-là de Freud : "[Le mélancolique] saisit la vérité avec plus d'acuité que d'autres personnes qui ne sont pas mélancoliques". (Freud, Deuil et mélancolie, dans Métapsychologie, cité par Andrea L Carbone dans Aristote, problème XXX).
151208 Nietzsche voit dans la sagesse des Grecs leur capacité à faire émerger Apollon (en gros, l'ordre) du chaos de l'énergie dionysiaque (ici on n'est pas chez l'esthéticien, mais chez le philologue ). Le dionysiaque est donc la position de départ, et l'apollinien vient le corriger. Le dionysiaque est animal, physique, terre-à-terre, et l'apollinien humain, "élevé", spirituel. Si on pense à un objectif d'élévation de l'homme qui correspondrait à l'éloigner de l'animal, à l'élever par rapport à lui, l'apollinien serait alors plus élevé que le dionysiaque, dans une soi-disant hiérarchie. C'est la morale judéo-chrétienne, voire gnostique , privilégiant l'esprit par rapport au corps, objet de mépris. Cette vision n'est évidemment pas la bonne. Elle a conduit à abaisser les valeurs intrinsèques du dionysiaque, et en particulier la valeur de la vie, et celle de l'énergie, de la dynamique. Pour élever l'homme, le critère d'éloignement de l'animal n'est pas bon. L'animalité comporte des valeurs qu'il faut conserver.
210208 L'idée de réunir apollinien et dionysiaque dans l'œuvre d'art est l'une des bases des réflexions esthétiques de Nietzsche. Dans un fragment posthume (556 de l'édition Tel de la volonté de puissance), il fait un parallèle entre l'opposition apollinien - dionysiaque et l'opposition des sexes, déterminante de l'évolution de l'humanité. Apollinien - dionysiaque, l'un n'est pas le contraire de l'autre, mais l'un et l'autre doivent s'unir, comme l'homme et la femme.
160112 Levi-Strauss, dans Tristes tropiques, explique que chez les Indiens Bororos, le village est séparé en deux : les tugaré, avec une mythologie de créateurs, de démiurges , de responsables de l'existence des choses, et les céra, pacificateurs, organisateurs de la création. Autrement dit, les premiers dionysiaques, et les seconds apolliniens. Et on appelle forts les tugaré et faibles les céra, bien qu'ils détiennent le pouvoir politique. Lévi-Strauss conclut : "[les tugaré] sont plus proches de l'univers physique, [les céra] de l'univers humain, qui n'est tout de même pas le plus puissant des deux. L'ordre social ne peut pas complètement tricher avec la hiérarchie cosmique." Excellente illustration de la supériorité du dionysiaque sur l'apollinien.