120606 Rodin était amoureux fou de Camille. Elle, par contre, s'intéressait surtout à lui par ambition. Son caractère ambitieux et arrogant se voit parfaitement dans la photo qui avait été agrandie à l'expo de Marmottan : elle
regarde le photographe, sûre d'elle, légèrement moqueuse. Elle va se payer Rodin exactement comme un gardon au bout de sa ligne. Au début, elle a joué le rôle de la séduction, un jeu qu'adorent certaines femmes au tempérament prédateur. Ça les valorise d'autant plus que le mec est riche ou connu ; là, en plus, c'était le prof. Plus tard elle l'a mené par le bout du nez ; "- Achetez-moi un maillot de bain bleu". Nous les hommes, on se laisse tous prendre, et après on est à leur merci. Tu veux baiser ? Tu m'achètes un maillot de bain bleu, et surtout que le bas soit plissé et le haut assorti, connard. Autrement pas de zizi-panpan.
On imagine Rodin (que tout le monde devait reconnaître dans la rue) achetant le maillot dans le magasin, ne sachant pas où se mettre. Elle part en Angleterre et il essaie de la rejoindre à tous prix… Elle se croit forte ; elle a séduit le maître.
Mais la critique dit qu'elle ne fait que du Rodin. A juste titre : son Sakountala c'est très beau mais c'est du Rodin. Il y a son intériorité (son génie ? à discuter) et qu'est-ce qu'on voit ? Un mec à genoux devant une femme qui condescend à baisser la tête pour le câliner ! L'âge mûr est certes autobiographique, eh bien et çà ? Donc, elle est furieuse de la critique, elle se croît forte et elle se sépare de l'atelier au niveau professionnel.
Elle pense créer un autre genre qui sera vraiment personnel. Et elle fait La vague, La conversation, des petites merveilles techniques, des bijoux, mais est-ce vraiment génial ? Ensuite, elle se tue à faire en marbre un plâtre qu'elle a fait chez Rodin. Pour se prouver ou prouver au monde qu'elle peut le faire, seule. Mais là c'est de l'huile de coude, même
pas de la création.
Rodin continue à l'aider financièrement longtemps après la rupture. Le seul truc vraiment un peu salaud que fait Rodin, c'est intriguer pour que l'état n'honore pas sa commande de L'âge mûr. Il sait que l'allusion est tellement voyante que tout le monde va penser que c'est un salaud. Il donne importance au qu'en dira-t-on. Vis à vis de la postérité, il a tort, puisque maintenant on peut lui reprocher, alors que le fait que L'âge mûr ait été commandé ou non n'a que peu d'importance en dehors de l'histoire personnelle de Camille.
On considère aussi que c'est autobiographique. Mais non : en disant ça, on fait comme si l'artiste peignait sa vérité profonde, ce qui n'est absolument pas le cas. Camille a peint Rodin la délaissant, et allant avec sa vioque, mais justement pour l'effet que ça allait faire, et non pas pour peindre une soi-disant vérité. Pensant que c'est dans la lignée de sa future paranoïa, on peut même dire que c'est une exagération maladive de sa situation et non pas sa vérité. Oui, absolument.
Un détail encore : elle n'a pas peint Rodin comme salaud, mais comme résigné, il suffit de voir l'expression du mec de face. La salope, c'est Rose. Ce qui est certainement contraire à la vérité. Elle n'est salope que dans l'esprit de Camille, pré-paranoïaque. Rose n'est que dévouée. Et Rodin a besoin d'elle pour le quotidien.
L'idée suivant laquelle les destins se croisent : Rodin aurait vécu des moments difficiles au début de sa carrière, et serait monté vers la gloire de son génie moderne (Balzac, notamment), tandis que Camille aurait fait des merveilles jeunes, puis décliné fortement après la rupture, cette idée est fausse. Car si l'inspiration de Camille est faible ou nulle après la rupture, celle de Rodin diminue très fortement aussi, et la modernité du Balzac a justement été conçue au paroxysme de la période de leurs amours. Que fait-il après la rupture ? Ce qu'on voyait à l'expo Gianadda, c'est une déclinaison à l'infini des portraits de Camille réutilisés avec différentes coiffures, ou bien la tête émergeant seulement du marbre (taillé par quelqu'un d'autre) ; la pensée de Camille l'obsède, bien sûr. Que fait-il d'autre ? Des réutilisations. L'homme qui marche, redite de Saint-Jean Baptiste. Tous les grands chefs d'œuvre, la Porte de l'enfer (dont le Penseur, et l'Ombre), les Bourgeois de Calais, Balzac, tout cela est antérieur à la rupture. Rodin a lui aussi été cassé à ce moment. Le génie ne supporte pas les traumatismes psychologiques (peut-on citer un artiste qui aurait été assez fort pour exploiter son propre traumatisme ?).
Ceux qui ont cherché à réhabiliter Camille ? A voir. Ne seraient-ils pas un peu soixante-huitards pseudo-féministes primaires ? Du génie chez Camille ? Son style propre, admettant que ce soit celui de La conversation ou Pensée profonde, est encore une fois très habile, même virtuose, mais est-ce vraiment génial ? Les portraits de sa sœur ou même de la petite châtelaine ? Super, mais par rapport à l'innovation du style de Rodin, à la modernité du Penseur et surtout de Balzac ? Aucun parallèle possible !
Le seul bout de la thèse qui soit acceptable, c'est que Camille n'a pas été reconnue à sa juste valeur, a été sous-estimée à son époque, du fait seulement qu'elle était une femme. Certainement. Mais mesurer son génie à l'aulne de celui de Rodin, c'est indéfendable.
190407 Bon, puisqu'on vous le dit, il faut s'extasier devant cette sublime statuaire grecque. Pourtant, la Venus de Cnide a la pointe du sein gauche mal placée (trop en haut et trop à l'extérieur). Le volume du sexe est complètement aplati avec un mauvais raccord avec les cuisses (quoiqu'ici, il s'agisse peut-être d'une règle académique bizarre, et non d'une erreur du sculpteur).
La Venus de l'Esquilin a les seins complètement ratés (des pommes posées au milieu de rien). On peut toujours partir sur des réflexions philosophiques (hégéliennes) sur la conformité à l'idée, sur l'idéal, mais le problème numéro 1 c'est la technique : même Praxitèle ou ses émules n'arrivaient pas à faire parfait dans leur direction, c'est-à-dire conforme à ce qu'ils voulaient atteindre. Évidemment, pour Praxitèle, on ne peut voir que deux ou trois statues dont on est sûr que ce sont des originaux.
190407 Orsay : tous les sculpteurs de chefs d'œuvre du XIXème aux noms presque inconnus. Celui qui a fait le David du milieu de la nef : Marius Antonin Mercié. Célébrité quasi zéro. Son David est inouï, avec le pied sur la tête de Goliath et l'expression qui dit clairement : " - Bon, ça y est les mecs, ah mais quand même !", et qui remet son épée au fourreau (au lieu de la fronde…). Et la femme piquée par le serpent : Jean-Baptiste Auguste Clésinger, qui peut citer son nom ? Et les Chasseurs de crocodiles, et tous les autres…
Pauvres artistes…