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Quelques idées nietzschéennes : moutonisation, volonté de puissance, gai savoir...


Nietzsche, dionysiste postmoderne

Nietzsche : on cueille et on recueille...... Nietzsche facile (???)...... Le catho, le bouddhiste et le nietzschéen...... Nietzsche : les trois clichés les pires...... Nietzsche : amour et bienveillance...... Au parc, les moutons ataraxiques...... Paissez, moutons !...... Le bon, le bête, et le perdant (c'est la même personne)...... Nietzsche joue aux dés : l'éternel retour...... Nietzsche postmoderne...... Volonté de puissance : ni volonté ni puissance...... Gai savoir : par delà la vérité et la blague...... Monter monter, oui mais vers où ?...... Marche à pied et jardinage, deux mamelles de la pensée...... Le danger des belles fleurs......

Nietzsche : on cueille et on recueille

180807 On se promène dans Nietzsche comme dans la forêt, un aphorisme à droite, un autre à gauche. On cueille un bouquet de fleurs, de celles que l'on aime. Mais quand on arrive à la clairière, avec un gros bouquet, on est passé à côté de tant de fleurs d'autres sortes, qu'on veut aussi aimer celles-là. Alors, on pose le bouquet et on retourne dans la forêt.

Nietzsche

Nietzsche facile (???)

230808 La plupart des gens pensent que Nietzsche est difficile à lire. Souvent, c'est parce qu'on leur a dit que le chef d'œuvre, c'est Zarathoustra. Ils se précipitent dessus et naturellement ils ne comprennent rien. Zarathoustra n'est que la cerise poétique sur l'énorme gâteau de l'œuvre. On ne l'a que si on la mérite !

C'est sûr, Zarathoustra, c'est beau. Mais la contrepartie de l'aspect lyrique, c'est que ce n'est pas très lisible, ni, en fait, convaincant. On peut même se demander si Nietzsche ne serait pas plus lu s'il n'y avait pas Zarathoustra. Plus lu, et plus suivi…

Mais le reste ? Pas toujours facile, mais Il y a des passages entiers clairs comme de l'eau de roche. En tous cas, c'est un écrivain limpide par rapport à Kant ou Hegel. Par contre, il faut penser entre chaque aphorisme, ça prend du temps.

171208 Si on ne comprend pas tout, on peut lire Comprendre Nietzsche de Jean Lefranc. Quoique ses trois chapitres sur Dionysos, la tragédie et la musique sont plutôt difficiles. Il faut déjà maîtriser un peu les notions de base de Schopenhauer. En fait, on se demande même si ce n'est pas plus compliqué à lire que Nietzsche (les premières conférences sur Dionysos, par exemple, pour rester sur ce sujet). Si Nietzsche revient sur terre, ce qu'il a bien prévu dans le cadre de l'éternel retour, il pourra peut-être écrire Comprendre Jean Lefranc. Non, il aura mieux à faire.

100911 Enfin, pour les gens pressés, on trouve à la fin du hors-série du Monde sur Nietzsche (été 2011, collection Une vie, une oeuvre) un glossaire des concepts Nietzschéens, écrit par Dorian Astor, absolument magistral.

Tout Nietzsche en sept pages ! Y compris certaines contradictions apparentes ou réelles, comme entre le devenir et l'éternel retour. Dorian Astor est normalien et paraît-il chanteur d'opéra : voilà un mec. Sept pages !

Bouddha

Le catho, le bouddhiste et le nietzschéen

051207 Le catholique qui en a un peu marre du théâtre augustinien et des dogmes papaux vire souvent au bouddhisme. Le bouddhiste qui en a un peu marre de l'utopie de l'amour universel devient cynique et vire au nihilisme. Le nihiliste un peu dynamique, qui aimerait bien sortir de son vide intégral, découvre ce qu'il faut dans Nietzsche et vire au nietzschéisme.

Mais alors pourquoi y a-t-il si peu de nietzschéens ?

Parce que la plupart des catholiques sont augustiniens et dogmatiques, la plupart des bouddhistes sont moralistes à fond la caisse, et la plupart des nihilistes sont trop découragés pour lire Nietzsche.

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Goethe

Nietzsche : les trois clichés les pires

101007 Les trois clichés les plus cons sur Nietzsche :

"Nietzsche était antisémite et sa pensée est à l'origine du nazisme". Nombreux passages de l'œuvre très virulents contre l'antisémitisme ambiant à son époque (et contre sa sœur et son beau-frère, nazi, abhorrés). Les nazis ont dévoyé sa pensée.

"Nietzsche était nihiliste". Même si au début il appréciait Schopen et son pessimisme, il en est totalement sorti. Voir par ailleurs Nietzsche charpentier : le nihilisme vaincu au chapitre sur la pensée postmoderne.

"Nietzsche, c'est 'Dieu est mort'."

270208 Cette phrase est extraite du contexte d'un aphorisme du Gai Savoir, c'est une constatation et non pas un credo. Et il ajoute dans un extrait posthume "Seul le Dieu moral est réfuté." - Allo, Friedrich, pourquoi tu n'as pas mis ça dans l'un de tes livres ? C'eût été plus clair ! Nulle part Nietzsche ne raisonne sur l'existence de Dieu. Et, sur son athéisme, il faut redire son admiration pour le polythéisme grec, abordé dans La naissance de la tragédie, et bien entendu, la présentation de Dionysos et de la philosophie dionysiaque dans toute son œuvre.

Nietzsche : amour et bienveillance

231207 "Triompher réellement du pessimisme ; et, pour résultat, un regard goethéen, plein d'amour et de bienveillance" (écrits posthumes 1887). Et alors, Friedrich, on s'adoucit ? Tu es sûr, c'est bien ça que tu veux ?

Au parc, les moutons ataraxiques

210208 L'ataraxie n'est qu'un truc de troupeau. Le mouton ataraxique :

"- Ne vous inquiétez pas les gars, j'ai tout compris comment ça marche, tout va se passer comme normal".

Au parc le mouton ataraxique ! Non. Le vrai sage considère le devenir, le changement perpétuel, l'excitation dionysiaque, et non pas le calme, la froide considération du monde.

moutons

Paissez, moutons!

020610 Nietzsche n'a pas été le premier à dénoncer les dangers de la moutonisation. Déjà Kant (Qu'est-ce que les Lumières ?) fustige les "tuteurs" qui "exercent une haute direction sur l'humanité, après avoir rendu bien sot leur bétail." Il y a certes les politiques, peut-être aussi la religion (tous moutons devant Dieu, leitmotiv nietzschéen), mais on se moutonise surtout nous-mêmes, par paresse. Comme dit Kant : "Je n'ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer [un livre, un directeur de conscience, un médecin] ; ils se chargeront bien de ce travail ennuyeux".

Moutonisation, déresponsabilisation : une dame dont la maison a subi des dégâts, interrogée à la télévision : "- Il y a eu un orage, on n'a pas été prévenus !" Pauvre brebis, elle va attraper l'onglée. C'est la faute au service météo.

Le bon, le bête, et le perdant (c'est la même personne)

010309 Le monde ne fonctionne qu'avec des rivalités (Hobbes et Nietzsche disaient des guerres, mais ça fait peur). Et même ces rivalités le font progresser. Dans cet univers, le soi-disant "bon", celui qui tend la joue gauche quand on lui gifle la droite, faiblit, s'efface et meurt. A bon entendeur, salut.

Dés

Nietzsche joue aux dés : l'éternel retour

130411 Nietzsche fonde l'idée de l'éternel retour sur un raisonnement probabiliste : un nombre infini de lancers de dés, et une somme finie de forces dans l'univers. Cette dernière hypothèse est évidemment fausse. Mais ce qui compte, c'est le précepte de conduite que Nietzsche déduit de sa théorie : agis et fais tes choix en pensant que cette action, et cet instant présent, va se reproduire éternellement. Ton choix ne doit jamais donner lieu à regrets ou à remords. Finalement, la base de la théorie est fausse, mais le précepte peut être maintenu, sous la forme suivante : "Fais comme si l'instant allait se répéter éternellement." Et que tu sois satisfait, dans les mêmes circonstances, de refaire la même action.


020208 Donc, il ne faut pas prendre cette idée de l'éternel retour comme une croyance. Il ne s'agit pas de penser "j'y crois" ou "je n'y crois pas". Il faut la prendre comme une possible ligne de conduite.

Nietzsche postmoderne

210208 En bon dionysiste, Nietzsche fustige l'anti- sensualisme de toute la philosophie passée : le plus grand contresens de l'homme, dit-il dans un fragment posthume de 1884. On est déjà dans une opposition postmoderne aux Lumières et à leur raison omnipotente. Postmoderne aussi, la prophétie de la destruction des "grands organismes" (Etats, religions) (automne 1870, plus de cent ans avant Lyotard…).

Volonté de puissance : ni volonté ni puissance

231007 Dans "volonté de puissance", le mot volonté est trop ambigu : ce serait plutôt instinct, ou pulsion, dans la mesure où il n'y a pas activité cérébrale, par exemple chez le protoplasme (comme Nietzsche l'appelle). Et le mot puissance n'est pas bon non plus : il n'y a pas d'idée de domination des autres ; ce serait plutôt le sens qu'on utilise en physique, la puissance d'un moteur. S'exerçant quand même contre les autres s'il s'agit de défendre sa liberté.

020308 Puissance : possibilité d'énergie, réserve d'énergie, et il s'agit de l'énergie vitale. La puissance de la voiture ne s'exerce au détriment de personne, sauf des pneus. Au contraire, elle s'exerce au bénéfice des passagers.

181006 Finalement ça ressemble à ce que Spinoza appelle conatus : l'effort que font les choses finies (les hommes, les plantes, peut-être aussi les pierres) pour continuer à vivre. Si l'on atteint la phase de décrudescence de cet effort, qu'on pourrait appeler deconatus, on va vers le suicide. D'où l'expression "faut pas déconater".

menestrel

Gai savoir : par delà la vérité et la blague

070808 Gai savoir. D'un côté le sérieux frénétique du mec qui peine à chercher la vérité (frénétique parce qu'il continue toujours à chercher quelque chose même quand il a trouvé), le sérieux rejetant toute ironie, toute fiction, toute fantaisie, qui soi-disant détourneraient l'esprit de la Vérité (avec un grand V, tu parles).

Il faut laisser ces gens-là s'épuiser, et voir l'autre côté : une petite vérité par ci, par-là, si ça va pas on change, ou on ajoute, mais c'est acceptable, c'est tranquille, ça fait du bien, on est content et gai. Le gai savoir c'est une posture postmoderne, finalement. La blague ou l'exagération, l'ironie reconnue, peut faire voir la vérité par contraste. C'est le principe de la théâtralité, c'est la gaya scienza du ménestrel ou du fou du roi. Éclectisme postmoderne et gaité dionysiaque.

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Monter monter, oui mais vers où ?

Sénèque : "O la vile chose et abjecte que l'homme, s'il ne s'élève au-dessus de l'humanité".

Bachelard : "Un homme est un homme dans la proportion où il est un surhomme".

Luc Ferry : la grandeur (de l'art) est liée "de manière indissociable à la représentation d'un univers transcendant, extérieur aux individus".

L'espèce humaine doit certes se conserver, mais bien plus : monter, avancer.

060707 Nietzsche : "Conservation de quoi ? Avancement vers quoi ?" (Aurore 106). Conserver l'espèce le plus longtemps possible ? Désanimaliser l'homme ? Nietzsche pose les questions qu'il faut poser. Désanimaliser ? Pas trop dionysiaque. Refonder une morale ? (Lire à ce sujet l'article Valeurs dionysiaques au chapitre sur Dionysos philosophe).

Marche à pied et jardinage, deux mamelles de la pensée

270411 Nietzsche : "C'est en marchant qu'on pense le mieux." En fait, ce qu'il sait, c'est que lui, il pense mieux en marchant. Et il généralise son cas dans une affirmation à valeur générale. Légèrement égocentrique. S'il avait souvent jardiné, il aurait peut-être laissé à la postérité l'affirmation : "C'est en jardinant qu'on pense le mieux".

En effet, la marche et le jardinage sont deux activités pendant lesquelles les gestes systématiques (mettre un pied devant l'autre, tirer les mauvaises herbes) laissent l'esprit entièrement libre, sans aucune décision à prendre, ni ouverture des sens au monde extérieur (sauf pour la marche, on peut regarder le paysage).

Le danger des belles fleurs

021111 La physiognomonie de Lavater, c'est dangereux. La philosophie de Nietzsche, c'est dangereux aussi, il le dit lui-même. Mais ce n'est pas une raison pour mettre ces théories à l'index : au contraire, au bord du précipice poussent les plus belles fleurs !